Argonautes : les astronautes de la mer

Les mollusques céphalopodes, le groupe d’animaux qui comprend les pieuvres, les nautiles, les calmars à queue de bobine et les seiches parmi ses membres vivants, est un petit groupe d’animaux très diversifié. Le groupe s’enorgueillit de géants des océans, de pieuvres changeant de couleur et de forme, de gicleurs d’encre lumineux, de calmars des profondeurs transparents, d’artistes de l’évasion dans les aquariums, d’animaux qui imitent d’autres animaux, de calmars vampires aux yeux géants et ils ont même conquis les airs avec des espèces qui volent, oui volent (Muramatsu et al. 2013).

En bref, il est vraiment difficile de se démarquer à une fête de céphalopodes sans faire quelque chose de vraiment spectaculaire et pourtant il y a un groupe d’octopodes, les argonautes, qui ont une évolution remarquable au même titre que l’évolution du vol chez les vertébrés ou les nombreux groupes comme les baleines et les dauphins qui ont évolué à partir d’ancêtres terrestres pour revenir à l’océan.

Les argonautes, plusieurs espèces du genre Argonauta, sont un groupe de céphalopodes octopodes, le groupe qui contient tous les céphalopodes à corps mou et à huit bras. Collectivement, ils sont connus sous le nom de pieuvres mais, ce qui peut prêter à confusion, il y a un grand nombre d’espèces dans le genre Octopus et de nombreux autres genres de pieuvres non-Octopus aussi comme Argonauta.

Les Argonautes tirent leur nom des marins de l’Argo de la célébrité de « Jason et les Argonautes ». Nautilus signifie également marin et on a émis l’hypothèse que c’était parce que les argonautes étaient censés naviguer sur le vent à l’aide de leurs bras modifiés palmés. Je n’ai pas été en mesure d’étayer si c’était le cas ou s’il s’agit d’une réimagination apocryphe du XIXe siècle d’une histoire d’origine.

Il y a un certain débat sur le nombre d’espèces vivantes d’argonautes, il y a un consensus général autour de quatre espèces mais pas moins de 53 ont été décrites (Sweeney et Young 2004). Les argonautes présentent un dimorphisme sexuel extrême, les mâles, pour les espèces chez lesquelles des mâles ont été observés, peuvent ne représenter que 4% de la taille des femelles et 1/600ème de leur poids (Finn 2009). Ils portent leur bras détachable délivrant le sperme dans un sac situé sous leur œil gauche.

Ce seul fait que les argonautes sont quelque peu remarquables parmi les céphalopodes, mais ce pour quoi ils sont le plus connus, c’est la coquille de calcite qu’ils fabriquent, ce qui leur vaut le nom commun de nautile de papier (bien qu’ils ne soient pas étroitement liés aux vrais nautiles qui développent une coquille extérieure dure). La délicate coquille ou caisse des argonautes s’échoue sur les rivages depuis des siècles, laissant les naturalistes perplexes quant à savoir qui les a fabriquées et comment. Des représentations de coquilles d’argonautes ont été trouvées dans des céramiques minoennes datant de 3000 avant JC (Hughes-Brock 1999, Finn 2013). Au départ, on pensait qu’il ne s’agissait que des restes d’une créature à carapace. Lorsque des coquilles ont été trouvées avec des céphalopodes vivant à l’intérieur qui n’étaient pas attachés aux coquilles, on a supposé que des pieuvres rusées les avaient empruntées à une autre créature un peu comme les bernard-l’ermite s’approprient des coquilles de gastéropodes pour y vivre.

Coquille d'Argonauta hians. Photographie : Mark Carnall
Coquille d’Argonauta hians. Photo : Mark Carnall : Mark Carnall Photographie : Mark Carnall

Ce n’est toutefois qu’au XIXe siècle que Jeanne Villepreux-Power a démontré une fois pour toutes que les argonautes créent leur propre coquille, mais pas comme les autres mollusques à coquille. Les femelles sécrètent les coquilles à partir de bras modifiés et ne sont pas attachées aux coquilles. Elles peuvent être retirées des coquilles qu’elles fabriquent et elles peuvent boucher les trous, bien qu’expérimentalement elles meurent lorsqu’elles sont retirées des coquilles pendant des périodes prolongées. Les mâles ne fabriquent pas ces fines coquilles de calcite, bien que l’on trouve parfois des mâles rôdant dans les coquilles d’œufs. Les argonautes femelles forment des chaînes comiques et maladroites à la surface de l’océan et certaines espèces se nourrissent en étendant leurs bras en toile modifiés à la surface de leur coquille pour attraper les particules de nourriture qui entrent en contact avec elles. On les a également trouvés attachés à des méduses, mâchant à travers le sommet de la cloche pour voler la nourriture à l’intérieur (Heeger et al. 1992).

Paper nautilus sighting off California. Vidéo Dam Nguyen

Si vous avez la chance de trouver une coquille d’argonaute pas trop abîmée sur le rivage, vous avez devant vous une forme d’architecture de pieuvre. Ce qui rend les coquilles d’argonautes étonnantes, c’est qu’elles constituent un dispositif de flottaison qui a permis aux argonautes de regagner la haute mer. C’est l’équivalent céphalopode de l’entreprise de l’humanité de s’aventurer dans l’espace et d’explorer les étoiles.

J’ai mentionné précédemment que nous ne savons pas beaucoup de choses sur les pieuvres à partir de leurs archives fossiles limitées, mais une histoire « juste comme ça » sur leur évolution est que les pieuvres en tant que groupe ont perdu leurs tentacules comme une adaptation à la vie au fond de l’océan (les pieuvres n’ont pas de tentacules, le calmar à dix bras, la seiche et le calmar à queue de bobine en ont). De nombreuses pieuvres sont des fourrageurs et des chasseurs en embuscade adaptés à la navigation sur les fonds marins à la recherche de nourriture, de partenaires ou d’une ou deux tanières confortables. En revanche, les calmars et les seiches nageant librement s’appuient sur leurs tentacules rapides comme l’éclair pour piéger poissons, crabes et autres invertébrés. Si cette hypothèse simple est correcte, nous pouvons imaginer d’anciens ancêtres argonautes, malades de grappiller une vie au fond de l’océan avec une menace constante de prédation par le haut, regardant leurs cousins calamars zieuter sans souci en pleine eau et décidant de faire quelque chose à ce sujet*.

Alors, que nous disent les archives fossiles ? Remarquablement, il existe des coquilles d’argonautes fossiles, même si les chances sont empilées contre la préservation des coquilles fragiles flottantes en papier mince en premier lieu. Un peu plus d’une douzaine d’espèces fossiles ont été décrites. Deux espèces d’Obinautilus sont connues de l’Oligocène, il y a 33-23 millions d’années, et du Miocène, il y a 11-5 millions d’années du Japon. Trois autres genres sont connus au Miocène, dont deux espèces de Mizuhobaris d’Amérique du Nord, Kapal batavis de Sumatra et trois espèces d’Izumonauta du Japon et de Nouvelle-Zélande. Plusieurs autres espèces d’Argonauta, du même genre que les espèces vivantes d’aujourd’hui, sont connues dans les archives fossiles. Deux espèces que nous avons encore aujourd’hui, Argonauta hians et Argonauta argo sont connues à partir de fossiles du Pliocène et du Pléistocène respectivement (Tomida et al. 2006).

De façon frustrante, comme c’est souvent le cas avec le registre fossile, les coquilles d’argonautes fossiles ressemblent fortement aux coquilles d’argonautes d’aujourd’hui avec le même modèle de côtes, de nobs et de tubercules offrant peu de compréhension sur la façon dont les argonautes ont évolué pour flotter à nouveau dans la colonne d’eau. En examinant les proches parents vivants des argonautes – les pieuvres à couverture, les pieuvres à sept bras (pas le genre Pixar) et les pieuvres football (pas le genre psychique) – on constate qu’ils partagent certaines écologies et certains comportements, mais pas les coquilles distinctives des argonautes. Les pieuvres de couverture (Tremoctopus spp.), les pieuvres de football (Ocythoe tuberculata) et les pieuvres à sept bras (Haliphron atlanticus) sont toutes pélagiques (elles vivent en pleine mer), présentent un certain degré de dimorphisme sexuel et toutes se nourrissent ou interagissent avec les méduses et autres zooplanctons gélatineux. Les pieuvres de couverture semblent être immunisées ou résistantes aux piqûres de l’homme de guerre portugais et ont même été observées en train de brandir comme une arme les tentacules urticants qu’elles avaient détachés. En outre, les pieuvres à couverture tirent leur nom des longues toiles qu’elles ont entre les bras, peut-être une évolution parallèle au bras sécréteur de coquille modifié des argonautes ? Il se pourrait donc que les argonautes étaient déjà des pieuvres pélagiques avant qu’elles ne développent leurs coquilles caractéristiques.

Attention étonnante, ce n’est qu’en 2010 que les scientifiques ont compris expérimentalement comment les argonautes utilisent leurs constructions de coquilles pour flotter dans la colonne d’eau et contrôler leur flottabilité. D’après les observations des argonautes femelles relâchées dans l’eau, les argonautes jaillissent à la surface de l’eau et font basculer leur coquille pour aspirer une poche d’air. À l’aide de leur deuxième paire de bras, elles emprisonnent l’air dans le haut de la coquille et plongent en libérant suffisamment d’air pour maintenir la flottabilité souhaitée (Finn et Norman 2010).

Il reste tant de questions auxquelles il faut répondre lorsqu’il s’agit d’argonautes vivants. Comment les mâles trouvent-ils les femelles ? Pourquoi les femelles sont-elles les seules à fabriquer et à utiliser des coquilles ? Comment et quand les argonautes ont-ils développé leur remarquable coquille et le comportement complexe qui accompagne le maintien de la flottabilité souhaitée ? Parfois, les archives fossiles sont insuffisantes et il faudrait une découverte de fossile assez remarquable pour nous donner une réponse concrète à toutes ces questions, surtout si l’on considère le faible potentiel de conservation des animaux à corps mou et la coquille ou proto-coquille vraisemblablement mince comme du papier que nous pourrions espérer trouver. Mais alors ce sont des questions comme celles-ci qui motivent le travail des scientifiques sur le terrain et en laboratoire, peut-être plus que les réponses que nous trouvons occasionnellement.

*Ce n’est absolument pas la façon dont l’évolution fonctionne mais c’est une belle histoire.

Finn, J. K. 2009. Systématique et biologie des argonautes ou  » nautiles de papier  » (Céphalopodes : Argonautidae). Thèse de doctorat, Département de zoologie, École des sciences de la vie, Faculté des sciences, de la technologie et de l’ingénierie, Université La Trobe, Bundoora, Australie.

Finn, J.K. 2013. Taxonomie et biologie des argonautes (Cephalopoda : Argonautidae) avec une référence particulière au matériel australien, Molluscan Research, 33:3, 143-222

Finn, J. K et Norman, M. D. 2010. La coquille de l’argonaute : contrôle de la flottabilité médiée par les gaz chez une pieuvre pélagique. Proceedings of the Royal Society B.

Heeger et al. 1992. Prédation sur les méduses par le céphalopode Argonauta argo. Marine Ecology Progress Series. Vol. 88 : 293-296. Lien web ici.

Hughes-Brock, H. 1999. Perles mycéniennes : genre et contexte social. Oxford Journal of Archaeology 18, 277-296.

Muramatsu, K., Yamamoto, J., Abe, T. et al. 2013. Les calmars océaniques volent. Biologie marine. 160 : 1171. Lien web ici.

Sweeney, M.J. & Young, R.E. 2004. Les taxons associés à la famille des Argonautidae Tryon, 1879. In : Projet web de l’arbre de vie. Weblink here.

Tomida, S., Shiba, M. & Nobuhara, T. 2006. First post-Miocene Argonauta from Japan, and its Palaeontological Significance. Cainozoic Research, 4(1-2), pp. 19-25.

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