Gastrite à corps atrophique : Présentation clinique, diagnostic et issue

L’aggravation de l’AG par l’administration à long terme d’IPP a été décrite pour la première fois chez des gerbilles de Mongolie H. pylori-positives,27 et plus tard, cette relation négative a été confirmée chez l’homme28. L’utilisation d’IPP chez les patients atteints d’AG doit être évitée pour deux raisons : premièrement, parce que le traitement par IPP peut être néfaste en ce qui concerne la progression des modifications de la muqueuse gastrique et augmenter le risque de CG ainsi que de carcinoïdes gastriques de type 1 ; deuxièmement, le traitement à base d’IPP est pratiquement inutile dans cette affection car la sécrétion d’acide gastrique est réduite en raison de l’atrophie des cellules pariétales ; par conséquent, la cible du médicament, la pompe à protons H+/K+ des cellules pariétales, fait défaut.

Le diagnostic opportun de l’AG est cliniquement important. Les carences potentielles en micronutriments, par exemple la malabsorption du fer et de la vitamine B12, associées à l’AG peuvent entraîner des conséquences cliniques graves, comme une anémie chronique sévère. Cela peut être particulièrement pertinent chez les personnes âgées présentant des comorbidités cardiaques, chez lesquelles on peut noter une lente diminution chronique de l’hémoglobine, dont le retard peut entraîner des complications potentiellement mortelles. La carence en vitamine B12 est une cause fréquente de plusieurs troubles neurologiques et neuropsychiatriques, notamment les troubles cognitifs, la démence, la dépression et la myélopathie avec ou sans neuropathie associée. La carence en vitamine B12 a été associée à des symptômes neurologiques, cognitifs, psychotiques et de l’humeur. Elle doit être diagnostiquée avec précision et traitée rapidement afin de prévenir les lésions cérébrales structurelles irréversibles et de réduire la morbidité chez les patients âgés29,30. La carence en fer a également été reconnue comme ayant un impact négatif sur la cognition, le comportement et les capacités motrices.31 Considérant que dans l’AG, les carences en fer et en vitamine B12 peuvent coexister, un diagnostic opportun et correct de cette affection est particulièrement important chez les personnes âgées.

L’AG augmente le risque de GC et de carcinoïdes gastriques de type 1. Bien que l’incidence du GC ait diminué au cours des dernières décennies, en particulier dans les pays occidentaux, le taux de mortalité dû au GC reste élevé.32 La détection et la surveillance des patients présentant des affections prémalignes, y compris l’AG et la MI, pourraient permettre de détecter les lésions à un stade précoce33. Dans les pays occidentaux, l’étalon-or pour le diagnostic du GC est l’évaluation histopathologique des biopsies gastriques, qui doit inclure au moins cinq échantillons de biopsie de la muqueuse antrale et corporelle.34 Cette méthode peut être peu pratique pour la pratique courante en raison du temps, des efforts et des coûts nécessaires pour obtenir les biopsies et les résultats pathologiques. La récente prise de position de la British Society of Gastroenterology (BSG) sur les normes de qualité de l’endoscopie du tractus gastro-intestinal supérieur confirme la nécessité d’obtenir deux biopsies non ciblées de l’antre et du corps, et une de l’incisure, en tant qu’échantillons séparés. Ces biopsies sont réalisées en plus des biopsies ciblées de toute lésion visible, lorsque les caractéristiques endoscopiques suggèrent une atrophie ou une métaplasie gastrique potentielle, afin de confirmer ce diagnostic et d’exclure la dysplasie, bien que le niveau de preuve soit faible35. Au Japon, l’atrophie de la muqueuse gastrique est couramment diagnostiquée par l’aspect endoscopique, les résultats endoscopiques de la muqueuse atrophique étant compatibles avec les résultats histologiques de la gastrite atrophique.36

L’imagerie à bande étroite grossissante (M-NBI) a été rapportée comme étant utile pour prédire la présence et la distribution de l’IM dans le corps gastrique. L’imagerie à bande étroite est une chromoendoscopie électronique permettant une meilleure visualisation de l’architecture microvasculaire et de la structure de la microsurface. Plusieurs études ont rapporté une bonne corrélation entre les apparences de l’imagerie à bande étroite et la pathologie dans l’IM et le GC.37 Dans l’IM-NBI de l’estomac, une crête bleu clair est largement connue pour être un marqueur endoscopique utile de l’IM, et, plus récemment, un autre marqueur, une substance blanche opaque sans crête bleu clair, a été observé.38 Cette technique endoscopique innovante présente une valeur diagnostique élevée pour les lésions précancéreuses gastriques avec une spécificité élevée, permettant ainsi éventuellement de cibler les biopsies pour optimiser le rendement diagnostique par rapport aux protocoles de biopsies aléatoires.39 La prise de position de la BSG citée plus haut recommande de réaliser au minimum un examen minutieux de l’estomac par endoscopie en lumière blanche, en envisageant une évaluation par chromoendoscopie.35

En ce qui concerne le diagnostic pathologique de l’AG, plusieurs classifications ont été proposées pour l’AG et les modifications prénéoplasiques. On utilise plus fréquemment le système de Sydney mis à jour, qui combine des informations topographiques, morphologiques et étiologiques pour standardiser les rapports histologiques.34 Plus récemment, des liens opératoires pour l’évaluation de la gastrite et de la MI ont été proposés pour la mise en scène de la gastrite et de la MI.40 Malheureusement, les classifications sont souvent difficiles à utiliser dans la pratique clinique. Une enquête italienne a montré que dans la pratique courante, seul un tiers des rapports d’histologie étaient créés en adhérant au Système de Sydney, ce qui montre que les directives sont peu respectées dans la pratique clinique, ce qui représente peut-être un élément critique pour les stratégies de surveillance des GC.41 L’adhésion totale au système de Sydney a augmenté de manière significative la probabilité de détecter la MI gastrique (OR : 9,6) et l’atrophie (OR : 1,9),41 soulignant ainsi ses avantages potentiels.

Une approche diagnostique non endoscopique pour le diagnostic du GC est représentée par la biopsie gastrique sérologique, comprenant les pepsinogènes I et II et la gastrine sériques ainsi que les anticorps anti-H. pylori. Le potentiel diagnostique des marqueurs sériques pour prédire la topographie et la gravité des troubles de la muqueuse gastrique a été établi42,43. Selon une méta-analyse, un panel de marqueurs sérologiques (gastrine 17, pepsinogènes I et II, et anticorps anti-H. pylori) a montré une sensibilité groupée de 70,2 % et une spécificité groupée de 93,9 % dans le diagnostic non invasif de l’AG.44

Les ACP peuvent être considérés comme des marqueurs sérologiques de l’AG, dont le rôle potentiel dans le dépistage ou le diagnostic non invasif est sous-estimé. Les ACP sont des immunoglobulines G dirigées contre l’ATPase H+/K+ des cellules pariétales, sont principalement considérées comme des marqueurs sérologiques de la gastrite auto-immune et sont utilisées pour dépister cette affection chez les patients atteints d’autres troubles auto-immuns.14,19 Il a été récemment démontré que les ACP, en particulier contre les sous-unités ATP4A et ATP4B de la pompe à protons gastrique H+/K+ ATPase, sont pratiquement toujours présentes chez les patients ayant un diagnostic connu d’AG, en utilisant un système d’immunoprécipitation luminescent innovant (sensibilité de 100 % pour les sous-unités ATP4A et de 95 % pour les sous-unités ATP4B), et représentent donc des marqueurs fiables de l’atrophie de la muqueuse oxyntique.45 L’évaluation des auto-anticorps de l’immunoglobuline G contre les sous-unités ATP4A et/ou ATP4B peut être proposée comme biomarqueur non seulement de la gastrite auto-immune, mais aussi d’autres formes d’AG, et il faut conseiller aux patients positifs de subir une gastroscopie avec biopsies afin d’établir le diagnostic d’AG et d’écarter les complications néoplasiques de cette affection.

Atrophie de la muqueuse gastrique : un état précancéreux

L’atrophie de la muqueuse gastrique et la MI sont connues pour conférer un risque élevé de GC, représentant ainsi des états précancéreux. Le développement de l’adénocarcinome gastrique de type intestinal représente l’étape finale d’une séquence inflammation-métaplasie-dysplasie-carcinome, appelée cascade de Correa46,47. La distribution intragastrique des modifications prémalignes de la muqueuse gastrique est un facteur déterminant du risque de CP : les cas d’atrophie des glandes oxyntiques et/ou de MI distribués de manière multifocale, y compris la petite courbure du corps et du fond, sont appelés gastrite atrophique multifocale, et ce phénotype, décrit comme extensif, a été associé à un risque plus élevé de CP. Le concept de gastrite de phénotype carcinomateux propose que la gastrite à prédominance corpusculaire augmente le risque de CG, probablement en raison de modifications du milieu intragastrique (augmentation du pH, réduction de l’acide ascorbique et piégeage des nitrites).48,49

La dysplasie gastrique constitue l’avant-dernière étape de la séquence de carcinogenèse gastrique et doit être considérée comme une lésion précancéreuse néoplasique directe. Les classifications de Padoue et de Vienne sont des outils permettant de standardiser la terminologie du spectre morphologique des lésions dysplasiques gastriques. La classification de l’Organisation mondiale de la santé (OMS)50 fournit les catégories diagnostiques : 1) négatif, 2) indéfini, 3) néoplasie/dysplasie intraépithéliale de bas grade, 4) de haut grade, et 5) néoplasie invasive intramuqueuse ou carcinome intramuqueux.

L’AG est également associé aux carcinoïdes gastriques de type 1, qui sont des tumeurs bien différenciées, dépendantes de la gastrine, au comportement généralement bénin, représentant jusqu’à 80 % de tous les carcinoïdes gastriques51. L’hypergastrinémie due à l’AG est le principal facteur pathogénique des carcinoïdes gastriques de type 1 agissant comme un facteur de croissance des cellules entérochromaffines-like ; par un processus à plusieurs étapes passant de l’hyperplasie à la dysplasie, les carcinoïdes peuvent se développer.51

De nombreux efforts ont été faits pour quantifier le risque de néoplasmes gastriques chez les patients atteints d’AG. Un taux de progression variable de l’AG vers le GC, jusqu’à 2 % par an, a été rapporté sur des périodes de suivi allant jusqu’à 16 ans.52,53 Une revue systématique a montré chez les patients AG avec PA un risque relatif de GC estimé à sept fois plus élevé.54 Les données sur l’incidence à long terme des carcinoïdes gastriques de type 1 sont rares ; une étude de cohorte a rapporté un taux d’incidence annuel de carcinoïde gastrique de type 1 de 0,4 %.53

Chez les patients AG, la rentabilité d’un suivi endoscopique régulier pour la surveillance du GC n’est pas établie. Les lignes directrices MAPS (Management of precancerous conditions and lesions in the stomach) recommandent une surveillance des GC pour les patients atteints de gastrite atrophique étendue ou de MI,55 mais ces lignes directrices ne s’adressent pas aux patients atteints d’AP car l’AP n’est pas considéré comme faisant partie de la cascade précancéreuse.46 Selon les études rapportées ci-dessus,53,54 une gestion clinique différente des patients atteints d’AG avec ou sans AP ne semble pas justifiée. Une analyse des coûts de l’endoscopie de surveillance de l’AG en Italie a montré que lors des 361 gastroscopies de surveillance, 20 néoplasies ont été détectées, ce qui correspond à un nombre nécessaire au dépistage de 19 et à un coût par lésion néoplasique gastrique de 2 945 €. En limitant la surveillance aux patients atteints d’AP, le nombre de dépistages nécessaires et le coût par néoplasie ont été réduits à 13,8 et 2 139 €, respectivement, et 74,0 % des néoplasies ont été détectées, confirmant ainsi l’association de l’AP avec le cancer du sein et soutenant la nécessité d’une surveillance dans ce domaine. L’AP peut être considéré comme l’un des facteurs de risque permettant une allocation efficace de la surveillance endoscopique dans les AG dans un pays à faible risque.56

En ce qui concerne le risque combiné de GC et de carcinoïdes, une étude récente57 a évalué la survenue de GC et de carcinoïdes dans une cohorte de patients AG lors d’un suivi à long terme à partir de 4 ans. Les taux d’incidence annuels par année-personne étaient de 0,25 %, 0,43 % et 0,68 % pour les GC, la dysplasie et les carcinoïdes gastriques de type 1, respectivement ; les taux d’incidence des GC et des carcinoïdes gastriques de type 1 étaient les mêmes (p=0.07), ce qui indique que les patients atteints de GC sont exposés de manière similaire aux deux risques.

La survenue de GC chez des patients atteints de carcinoïdes gastriques de type 1 a été décrite chez 23,0 % (4 sur 17) des patients atteints de carcinoïdes gastriques de type 1 au cours d’une période de suivi médiane de 6 ans57. Trois cas étaient des adénocarcinomes de type intestinal et un était un GC diffus à cellules en anneau de signet, localisé dans trois cas dans l’antre. Ainsi, la surveillance des patients atteints de carcinoïdes gastriques de type 1 avec un prélèvement bioptique précis de la muqueuse antrale semble bénéfique. Une hypergastrinémie de longue date pourrait expliquer pourquoi les patients atteints de carcinoïdes gastriques de type 1 pourraient développer plus fréquemment un GC. L’hypergastrinémie a été proposée dans de nombreux modèles de carcinogenèse gastrique et semble être un facteur causal commun dans des circonstances autrement différentes.58 De plus, la gestion conservatrice à long terme des carcinoïdes gastriques de type 1 expose ces patients à un risque plus élevé de CG.

CONCLUSION

L’AG est une affection sous-diagnostiquée et principalement bénigne, qui peut se présenter cliniquement avec des symptômes gastro-intestinaux supérieurs, mais aussi avec des signes ou des symptômes extragastro-intestinaux. Cette affection peut avoir deux conséquences néfastes : premièrement, le risque accru de deux types de néoplasmes gastriques, le GC et les carcinoïdes gastriques de type 1 ; deuxièmement, l’apparition de carences érythropoïétiques en micronutriments pouvant entraîner une anémie due à une carence en fer ou en vitamine B12, qui doit être traitée rapidement. Les patients qui ont une suspicion clinique d’AG devraient subir un dépistage sérologique par les sérums pepsinogènes I et II, la gastrine, et/ou les anticorps anti-H. pylori, afin de mieux aborder la gastroscopie. Un autre outil de dépistage utile de l’AG est représenté par l’évaluation de l’ACP. Le diagnostic définitif dépend toujours de la gastroscopie et de l’évaluation pathologique de plusieurs biopsies corporelles et antrales, éventuellement stadifiées par le système de Sydney actualisé, du lien opératoire pour la gastrite et de l’évaluation de la MI. Des techniques d’endoscopie innovantes, telles que le M-NBI, pourraient dans un avenir proche permettre de cibler les biopsies lors de l’endoscopie de surveillance améliorant la détection précoce des néoplasmes gastriques.

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