Joseph-Louis Lagrange

En apparence, il était de taille moyenne, et légèrement formé, avec des yeux bleu pâle et un teint incolore. Dans son caractère, il était nerveux et timide, il détestait la controverse, et pour l’éviter, il laissait volontiers aux autres le mérite de ce qu’il avait lui-même fait.

Il réfléchissait toujours au sujet de ses articles avant de commencer à les composer, et les écrivait généralement directement sans une seule rature ou correction.

W.W. Rouse Ball

Portrait de Joseph-Louis Lagrange (XVIIIe siècle)

Premières annéesModification

Premier né de onze enfants sous le nom de Giuseppe Lodovico Lagrangia, Lagrange était d’ascendance italienne et française. Son arrière-grand-père paternel était un capitaine de cavalerie français, dont la famille était originaire de la région française de Tours. Après avoir servi sous Louis XIV, il était entré au service de Charles Emmanuel II, duc de Savoie, et avait épousé une Conti de la noble famille romaine. Le père de Lagrange, Giuseppe Francesco Lodovico, était docteur en droit de l’université de Turin, tandis que sa mère était l’enfant unique d’un riche médecin de Cambiano, dans la campagne de Turin. Il fut élevé comme un catholique romain (mais devint plus tard agnostique).

Son père, qui avait la charge du coffre militaire du roi et était trésorier du bureau des travaux publics et des fortifications de Turin, aurait dû maintenir une bonne position sociale et une bonne richesse, mais avant que son fils ne grandisse, il avait perdu la plupart de ses biens dans des spéculations. Son père avait prévu pour Lagrange une carrière d’avocat, ce que Lagrange semble avoir accepté de bon gré. Il étudie à l’Université de Turin et sa matière préférée est le latin classique. Au début, il n’avait pas un grand enthousiasme pour les mathématiques, trouvant la géométrie grecque plutôt ennuyeuse.

Ce n’est qu’à l’âge de dix-sept ans qu’il montra un quelconque goût pour les mathématiques – son intérêt pour le sujet étant d’abord excité par un article d’Edmond Halley de 1693 sur lequel il tomba par hasard. Seul et sans aide, il se lance dans des études mathématiques ; au bout d’une année de travail incessant, il est déjà un mathématicien accompli. Charles Emmanuel III nomme Lagrange « Sostituto del Maestro di Matematica » (professeur adjoint de mathématiques) à l’Académie royale militaire de théorie et de pratique de l’artillerie en 1755, où il donne des cours de calcul et de mécanique pour soutenir l’adoption précoce par l’armée piémontaise des théories balistiques de Benjamin Robins et Leonhard Euler. À ce titre, Lagrange est le premier à enseigner le calcul dans une école d’ingénieurs. Selon Alessandro Papacino D’Antoni, commandant militaire de l’académie et célèbre théoricien de l’artillerie, Lagrange s’est malheureusement révélé être un professeur problématique avec son style d’enseignement oublieux, ses raisonnements abstraits et son impatience face aux applications de l’artillerie et de l’ingénierie des fortifications. Dans cette Académie, l’un de ses élèves était François Daviet.

Calcul variationnelModification

Lagrange est l’un des fondateurs du calcul des variations. À partir de 1754, il a travaillé sur le problème de la tautochrone, découvrant une méthode pour maximiser et minimiser les fonctionnelles d’une manière similaire à la recherche des extrema des fonctions. Lagrange a écrit plusieurs lettres à Leonhard Euler entre 1754 et 1756 pour décrire ses résultats. Il y expose son « δ-algorithme », qui conduit aux équations d’Euler-Lagrange du calcul variationnel et simplifie considérablement l’analyse antérieure d’Euler. Lagrange a également appliqué ses idées à des problèmes de mécanique classique, généralisant les résultats d’Euler et de Maupertuis.

Euler a été très impressionné par les résultats de Lagrange. On a affirmé qu' »avec une courtoisie caractéristique, il retint un article qu’il avait déjà écrit et qui couvrait en partie le même terrain, afin que le jeune Italien ait le temps d’achever son travail et de revendiquer l’invention incontestée du nouveau calcul » ; cependant, cette vision chevaleresque a été contestée. Lagrange a publié sa méthode dans deux mémoires de la Société de Turin en 1762 et 1773.

Miscellanea TaurinensiaEdit

En 1758, avec l’aide de ses élèves (principalement avec Daviet), Lagrange a créé une société, qui a ensuite été constituée en Académie des sciences de Turin, et la plupart de ses premiers écrits se trouvent dans les cinq volumes de ses transactions, généralement connus sous le nom de Miscellanea Taurinensia. Beaucoup d’entre eux sont des documents élaborés. Le premier volume contient un article sur la théorie de la propagation du son ; il y indique une erreur commise par Newton, obtient l’équation différentielle générale pour le mouvement et l’intègre pour le mouvement en ligne droite. Ce volume contient également la solution complète du problème d’une corde vibrant transversalement ; dans cet article, il souligne le manque de généralité des solutions données précédemment par Brook Taylor, D’Alembert et Euler, et arrive à la conclusion que la forme de la courbe à tout instant t est donnée par l’équation y = a sin ( m x ) sin ( n t ) {\displaystyle y=a\sin(mx)\sin(nt)\,} . L’article se termine par une discussion magistrale sur les échos, les battements et les sons composés. Les autres articles de ce volume portent sur les séries récurrentes, les probabilités, et le calcul des variations.

Le deuxième volume contient un long article reprenant les résultats de plusieurs articles du premier volume sur la théorie et la notation du calcul des variations ; et il illustre son utilisation par la déduction du principe de moindre action, et par les solutions de divers problèmes de dynamique.

Le troisième volume comprend la solution de plusieurs problèmes de dynamique au moyen du calcul des variations ; quelques articles sur le calcul intégral ; une solution du problème de Fermat mentionné plus haut : étant donné un nombre entier n qui n’est pas un carré parfait, trouver un nombre x tel que x2n + 1 soit un carré parfait ; et les équations différentielles générales du mouvement pour trois corps se déplaçant sous l’effet de leurs attractions mutuelles.

L’ouvrage suivant qu’il produisit fut en 1764 sur la libration de la Lune, et une explication sur la raison pour laquelle la même face était toujours tournée vers la terre, problème qu’il traita à l’aide du travail virtuel. Sa solution est particulièrement intéressante car elle contient le germe de l’idée des équations généralisées du mouvement, équations qu’il démontra formellement pour la première fois en 1780.

BerlinEdit

Dès 1756, Euler et Maupertuis, voyant le talent mathématique de Lagrange, essayèrent de persuader Lagrange de venir à Berlin, mais il refusa timidement l’offre. En 1765, d’Alembert intercède en faveur de Lagrange auprès de Frédéric de Prusse et lui demande par lettre de quitter Turin pour un poste beaucoup plus prestigieux à Berlin. Il décline à nouveau l’offre, répondant que :361

Il me semble que Berlin ne me conviendrait pas du tout tant que M.Euler y est.

En 1766, après qu’Euler ait quitté Berlin pour Saint-Pétersbourg, Frédéric lui-même écrit à Lagrange pour exprimer le souhait du « plus grand roi d’Europe » d’avoir « le plus grand mathématicien d’Europe » résidant à sa cour. Lagrange se laisse finalement convaincre. Il passe les vingt années suivantes en Prusse, où il produit une longue série d’articles publiés dans les transactions de Berlin et de Turin, et compose son œuvre monumentale, la Mécanique analytique. En 1767, il épouse sa cousine Vittoria Conti.

Lagrange est le favori du roi, qui lui fait fréquemment la leçon sur les avantages d’une parfaite régularité de vie. La leçon fut acceptée, et Lagrange étudia son esprit et son corps comme s’ils étaient des machines, et fit des expériences pour trouver la quantité exacte de travail qu’il pouvait faire avant de s’épuiser. Chaque soir, il se fixait une tâche précise pour le lendemain, et après avoir terminé une branche d’un sujet, il rédigeait une courte analyse pour voir quels points des démonstrations ou du sujet pouvaient être améliorés. Il planifiait soigneusement ses travaux avant de les écrire, généralement sans une seule rature ou correction.

Néanmoins, pendant ses années à Berlin, la santé de Lagrange était plutôt mauvaise, et celle de sa femme Vittoria encore pire. Elle meurt en 1783 après des années de maladie et Lagrange est très déprimé. En 1786, Frédéric II meurt, et le climat de Berlin devient difficile pour Lagrange.

ParisEdit

En 1786, après la mort de Frédéric, Lagrange reçoit des invitations similaires d’États dont l’Espagne et Naples, et il accepte l’offre de Louis XVI de s’installer à Paris. En France, il fut reçu avec toutes les marques de distinction et des appartements spéciaux au Louvre furent préparés pour sa réception, et il devint membre de l’Académie des sciences, qui devint plus tard une partie de l’Institut de France (1795). Au début de sa résidence à Paris, il fut pris d’une crise de mélancolie, et même l’exemplaire imprimé de sa Mécanique, sur laquelle il avait travaillé pendant un quart de siècle, resta plus de deux ans sans être ouvert sur son bureau. La curiosité quant aux résultats de la Révolution française l’a d’abord tiré de sa léthargie, une curiosité qui s’est vite transformée en alarme à mesure que la révolution se développait.

C’est à peu près à la même époque, en 1792, que la tristesse inexplicable de sa vie et sa timidité ont ému la compassion de Renée-Françoise-Adélaïde Le Monnier, 24 ans, fille de son ami, l’astronome Pierre Charles Le Monnier. Elle insiste pour l’épouser et se révèle une épouse dévouée à laquelle il s’attache chaleureusement.

En septembre 1793, le règne de la Terreur débute. Sous l’intervention d’Antoine Lavoisier, qui lui-même était alors déjà expulsé de l’Académie avec de nombreux autres savants, Lagrange fut spécifiquement exempté nommément dans le décret d’octobre 1793 qui ordonnait à tous les étrangers de quitter la France. Le 4 mai 1794, Lavoisier et 27 autres fermiers fiscaux sont arrêtés et condamnés à mort et guillotinés l’après-midi même du procès. Lagrange a dit à propos de la mort de Lavoisier :

Il n’a fallu qu’un instant pour faire tomber cette tête et cent ans ne suffiront pas à produire son semblable.

Bien que Lagrange se soit préparé à s’échapper de France pendant qu’il en était encore temps, il n’a jamais été en danger ; différents gouvernements révolutionnaires (et plus tard, Napoléon) l’ont chargé d’honneurs et de distinctions. Cette chance ou cette sécurité peut, dans une certaine mesure, être due à l’attitude de vie qu’il a exprimée de nombreuses années auparavant : « Je crois qu’en général, l’un des premiers principes de tout homme sage est de se conformer strictement aux lois du pays dans lequel il vit, même lorsqu’elles sont déraisonnables ». Un témoignage frappant du respect dans lequel il était tenu fut donné en 1796 lorsque le commissaire français en Italie reçut l’ordre d’assister en grande pompe au père de Lagrange, et de présenter les félicitations de la république sur les succès de son fils, qui « avait fait honneur à toute l’humanité par son génie, et que c’était la gloire particulière du Piémont d’avoir produit ». On peut ajouter que Napoléon, une fois parvenu au pouvoir, encouragea vivement les études scientifiques en France, et en fut un généreux bienfaiteur. Nommé sénateur en 1799, il fut le premier signataire du Sénatus-consulte qui, en 1802, annexa son Piémont natal à la France. Il acquiert en conséquence la nationalité française. Les Français affirmèrent qu’il était un mathématicien français, mais les Italiens continuèrent à le revendiquer comme italien.

Unités de mesureEdit

Lagrange participa à l’élaboration du système métrique de mesure dans les années 1790. La présidence de la Commission des poids et mesures lui est proposée alors qu’il se prépare à s’évader. Après la mort de Lavoisier en 1794, c’est en grande partie Lagrange qui a influencé le choix des unités mètre et kilogramme avec subdivision décimale, par la commission de 1799. Lagrange fut également l’un des membres fondateurs du Bureau des longitudes en 1795.

Édition de l’École Normale

En 1795, Lagrange fut nommé à une chaire de mathématiques à l’École Normale nouvellement créée, qui ne connut qu’une brève existence de quatre mois. Les cours qu’il y donne sont tout à fait élémentaires et ne contiennent rien de particulièrement important, mais ils sont publiés car les professeurs doivent  » s’engager devant les représentants du peuple et entre eux à ne lire ni à répéter de mémoire « , et les discours ont reçu l’ordre d’être notés en sténographie pour permettre aux députés de voir comment les professeurs s’acquittent de leur tâche.

Édition de l’École Polytechnique

En 1794, Lagrange fut nommé professeur de l’École Polytechnique ; et les cours qu’il y donna, décrits par les mathématiciens qui eurent le bonheur de pouvoir y assister, furent presque parfaits dans la forme et dans la matière. Commençant par les éléments les plus infimes, il entraînait ses auditeurs jusqu’à ce que, presque à leur insu, ils étendent eux-mêmes les limites du sujet : surtout, il imprimait à ses élèves l’avantage de toujours utiliser des méthodes générales exprimées dans une notation symétrique.

Mais Lagrange ne semble pas avoir été un professeur efficace. Fourier, qui assiste à ses cours en 1795, écrit :

sa voix est très faible, du moins en ce qu’elle ne s’échauffe pas ; il a un accent italien très marqué et prononce les s comme des z Les élèves, dont la majorité est incapable de l’apprécier, lui font peu d’accueil, mais les professeurs s’en dédommagent.

Années tardivesModification

Le tombeau de Lagrange dans la crypte du Panthéon

En 1810, Lagrange entreprend une révision approfondie de la Mécanique analytique, mais il ne peut en achever que les deux tiers environ avant sa mort à Paris en 1813, au 128 rue du Faubourg Saint-Honoré. Napoléon l’a honoré de la Grande Croix de l’Ordre Impérial de la Réunion deux jours seulement avant sa mort. Il est enterré la même année au Panthéon à Paris. L’inscription sur sa tombe se lit en traduction:

JOSEPH LOUIS LAGRANGE. Sénateur. Comte de l’Empire. Grand officier de la Légion d’honneur. Grand Croix de l’Ordre Impérial de la Réunion. Membre de l’Institut et du Bureau des longitudes. Né à Turin le 25 janvier 1736. Décédé à Paris le 10 avril 1813.

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