La semaine dernière, j’ai écrit sur Philippe Petit et sa marche sur un fil entre les tours jumelles de New York, il y a tant d’années. Je voulais utiliser son histoire comme une métaphore de la façon dont le bonheur pourrait être mieux considéré comme un équilibre entre une attente lucide et une préparation aux mauvaises choses de la vie afin d’embrasser et de célébrer pleinement les bonnes. J’ai parlé de la façon dont la peur intense que Philippe ressentait face à son exploit était l’une des facettes surprenantes sur le documentaire du moment (Man on Wire).
Un commentaire d’un lecteur m’a rappelé l’une des autres facettes surprenantes de ce même film. Comme je l’ai mentionné dans cette précédente chronique, le documentaire présentait des interviews d’un ensemble de personnages qui ont rendu possible la marche des tours jumelles. Des images d’archives de séances de brainstorming et d’entraînement ont été utilisées pour illustrer à quel point cet événement a été méticuleusement planifié, et que les risques ont été acceptés par toutes les personnes concernées. Lorsque Philippe a achevé sa marche sur le fil, il a été arrêté, et emporté dans une gloire soudaine.
Le commentaire du lecteur a commencé, plus ou moins, en confrontant la question « Qui a pris les photographies de Philippe sur le fil ? ». Il devrait être clair que des personnes l’ont aidé tout au long de son parcours. Pourtant, comme l’indique ma chronique, ces personnes ont été oubliées et exclues du moment qu’elles ont contribué à créer ; elles ont été laissées pour compte alors que Philippe recevait des éloges pour son exploit. C’est la deuxième chose surprenante du documentaire – regarder ces anciens amis, confidents et alliés tenter d’expliquer la rupture inexplicable de leurs relations avec Philippe. Dans le moment le plus douloureux (pour moi) du film, Philippe raconte comment, dès sa sortie de garde à vue, il a couché avec la première groupie féminine qui s’est offerte à lui, alors que sa petite amie de toujours l’attendait à l’hôtel. Les plus proches de ses amis versent encore des larmes en décrivant ces moments où le rêve idéaliste de marcher sur le fil est devenu une réalité décevante.
Il y avait Annie Allix, la petite amie de Philippe, qui est restée derrière lui après la descente des tours. Jean Louis Blondeau a aidé à planifier l’exploit et a été l’ami de Philippe pendant des années. Il a aidé à transporter le lourd câble et à lancer la flèche qui alimentait le fil de guidage jusqu’à la deuxième tour. Il a installé le câble pour qu’il soit stable dans les vents violents au sommet. Il y avait Jim Moore, qui était basé à New York et faisait de la reconnaissance photographique. Il y en avait d’autres, aussi, qui ont joué un rôle déterminant ce jour-là, et au fil des années, pour amener Philippe à l’endroit où il pouvait danser sur le fil au-dessus de Manhattan.
Cette partie du récit est une vieille histoire. Nous ne pouvons pas le faire tout seul, les exploits de la grandeur semblent toujours avoir un casting de soutien. Michael Jordan aurait-il pu mener les Chicago Bulls à un triple triplé de championnats NBA sans Will Perdue ? On peut dire oui, on peut dire non, mais Will Perdue était dans l’équipe et sur le terrain, il doit donc faire partie de la conversation, non ? De plus, étant un gars plus grand que la moyenne qui a une tendance maladroite à dribbler sur son pied et qui doit croiser les doigts pour dunker, j’avais besoin d’un modèle ! (sans vouloir offenser M. Perdue !)
Peut-être que l’analogie Michael Jordan-Will Perdue a plus à dire, cependant, que le simple fait qu’il faut beaucoup de soutien et d’implication directe pour réaliser des exploits impressionnants. Encore une fois, sans vouloir offenser Will Perdue, je pense qu’il est beaucoup plus probable que Michael Jordan remporte un titre sans Will Perdue que l’inverse (cela a été prouvé dans les carrières prolongées de ces professionnels). Il est probablement aussi beaucoup plus probable que Philippe Petit ait pu marcher sur un fil entre deux tours avec un ensemble différent d’amis et de collègues que l’inverse. Donc, en essayant d’utiliser cet exploit incroyable pour réfléchir à l’acceptation du risque de vivre pleinement, je pense qu’il est défendable pour moi de m’être concentré sur Philippe.
Cependant, il y a une grande différence entre se concentrer sur une personne et négliger complètement toutes les autres. En ce sens, je suis tout aussi coupable que Philippe. Étant un chercheur de la vie significative, il m’est apparu que la backstory oubliée de la marche sur le fil de Philippe Petit détient beaucoup de sagesse pour la vie significative.
Il y a beaucoup de façons d’aller dans ce sens : l’importance des amis, » aucun homme n’est une île « , vivre sa vie au sein d’un réseau de relations étroites et enrichissantes, même » vous ne savez pas ce que vous avez jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus « .
J’aime penser à cette histoire, cependant, comme parlant de la trahison de tant de promesses que la culture moderne nous fait en matière de bonheur. L’histoire de Philippe, du moins la partie capturée dans Man on Wire, semble correspondre au prototype de quelqu’un qui travaille avec des intimes partageant les mêmes idées vers un grand rêve, pour ensuite être séduit par le mirage chatoyant de la gloire, de la richesse et de l’adulation. De mon point de vue, il semble incroyable que quelqu’un puisse sacrifier un groupe d’amis qui étaient si clairement compatibles, et avec lesquels un riche petit monde avait été construit. Toutes les théories crédibles sur le bonheur et le sens de la vie affirment qu’un réseau d’amis aussi étroit est ce que l’on peut souhaiter de mieux dans la vie. En revanche, notre schéma culturel d’épanouissement dans la vie – la quête de la richesse, de la gloire, de l’adulation, de la beauté et du statut – a un » côté sombre » (Kasser & Ryan, 1993). Les personnes qui s’efforcent d’obtenir ces choses se révèlent presque toujours, selon les recherches, moins bien dans leur vie et moins heureuses. De peur que vous pensiez que les psychologues ne cessent d’étudier les hippies, il est important de noter que même les étudiants matérialistes des écoles de commerce sont moins heureux que leurs collègues moins matérialistes (Kasser & Ahuvia, 2001).
Ce qui rend le triste épilogue de Man on Wire si choquant, c’est que Philippe Petit semble être quelqu’un qui est en contact si étroit avec l’expérience momentanée de la vie, affrontant et embrassant le risque au cœur de la vie. La recherche nous amène à penser que ce sont les personnes qui évitent un tel contact avec l’expérience qui sont les plus enclines à tomber dans le piège sans issue du matérialisme ; à renoncer à une vie qui a du sens (Kashdan & Breen, 2007). On espère que Philippe, Annie, Jean Louis, Jim et les autres qui ont rendu possible la marche sur le fil ont à nouveau rempli leur vie de la ressource la plus précieuse au monde – des amis pour le voyage – et qu’ils sont heureux.
Kashdan, T.B., & Breen, W.E. (2007). Matérialisme et diminution du bien-être : Experiential avoidance as a mediating mechanism. Journal of Social and Clinical Psychology, 26, 521-539.
Kasser, T., & Ahuvia, A. (2001). Valeurs matérialistes et bien-être chez les étudiants en commerce. European Journal of Social Psychology, 31, 137-146.
Kasser, T., & Ryan, R. M. (1993). Un côté sombre du rêve américain : Correlates of financial success as a central life aspiration. Journal of Personality and Social Psychology, 65, 410-422.