Le siège d’Acre, 1291 CE

Le siège d’Acre en 1291 CE a été le dernier coup fatal aux ambitions chrétiennes des croisés en Terre sainte. Acre avait toujours été le plus important port tenu par les chrétiens au Levant, mais lorsqu’il tomba finalement le 18 mai 1291 CE aux mains des armées du sultan mamelouk Khalil, les chrétiens furent contraints de fuir pour de bon et de se réfugier à Chypre. La chute d’Acre, comme la défaite choquante est devenue largement connue en Occident, a été le dernier chapitre de l’histoire de la croisade au Moyen-Orient.

Le sultanat mamelouk

Les désastres militaires de la septième croisade (1248-1254 CE) et l’abandon de la huitième croisade de 1270 CE après la mort de son chef Louis IX, roi de France (r. 1226-1270 CE), avaient effectivement scellé le sort des États créés par les croisés, l’Orient latin. Les chrétiens du Levant étaient seuls face à deux ennemis à la fois : les musulmans du sultanat mamelouk basé en Égypte et les armées d’invasion de l’Empire mongol. Ne représentant plus qu’une poignée de villes côtières et de châteaux isolés, sans arrière-pays à proprement parler, l’Orient latin était appauvri et proche de l’extinction totale.

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Le siège d'Acre, 1291 CE
Le siège d’Acre, 1291 CE
par Dominique Papety (Domaine public)

Le grand chef mamelouk était le sultan Baibars (alias Baybars, r. 1270-1277 CE) qui réussit à étendre son empire et à repousser les Mongols jusqu’à l’Euphrate. Les villes chrétiennes ont également souffert, Baibars ayant capturé Césarée et Arsuf. Antioche est tombée en 1268 de notre ère, de même que le château des Chevaliers Hospitaliers du Krak des Chevaliers en 1271 de notre ère. Les Assassins, une secte musulmane, sont également visés et leurs châteaux en Syrie sont capturés dans les années 1260. Baibars était désormais maître du Levant et se déclarait l’instrument de Dieu et le protecteur de la Mecque, de Médine et de Jérusalem.

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Acre était une ville trop importante stratégiquement & un prix trop prestigieux pour ne pas attirer l’attention des Mamelouks.

Pour faire face à la menace qui pesait sur leur existence, contrairement aux chrétiens d’Antioche qui s’étaient effectivement alliés aux Mongols pour prendre Alep, les chrétiens d’Acre décidèrent de rester neutres et de ne se ranger ni du côté des musulmans ni du côté des Mongols. Malheureusement, Acre était une ville trop importante d’un point de vue stratégique et un prix trop prestigieux pour ne pas attirer l’attention des Mamelouks.

Le rétrécissement de l’Orient latin

L’Orient latin ne fut pas totalement abandonné après la huitième croisade, le futur roi Édouard Ier d’Angleterre (r. 1272-1307 CE) arriva bien à Acre en 1271 CE avec une petite armée de chevaliers, mais il ne put accomplir que très peu de choses avant de rentrer chez lui en Angleterre pour être couronné roi l’année suivante. Le pape Grégoire X (r. 1271-1276 de l’ère chrétienne) souhaitait lancer une nouvelle croisade en 1276 de l’ère chrétienne, mais l’expansion de la chrétienté en Espagne et dans la Baltique s’avéra plus attrayante pour de nombreux nobles et membres du clergé européens. Grégoire X insiste quand même et fixe une date provisoire de départ pour une croisade en avril 1277 de notre ère, mais lorsqu’il meurt en janvier 1276 de notre ère, le projet est abandonné.

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En 1281 de notre ère, la forteresse de Margat, tenue par les chrétiens, est capturée par les Mamelouks, Lattakiah est prise en 1287 de notre ère, puis Tripoli en 1289 de notre ère qui, comme les autres captures, est alors démolie pour dissuader toute tentative de reprise et, surtout, pour repousser toute future croisade en projet. L’étape suivante de la conquête fut la puissante Acre, qui fut longtemps la base des armées croisées, un lieu de retraite finale en période de troubles, et la capitale de l’Orient latin. Le prétexte du siège mamelouk était une attaque d’un petit groupe de croisés italiens contre des marchands musulmans sur le marché de la ville. Lorsque les Latins ont refusé de livrer les auteurs de cette attaque, le sultan mamelouk a décidé que la ville tomberait, d’une manière ou d’une autre, tôt ou tard.

Acre

Acre a longtemps été le port le plus important du Levant pour les États latins, depuis la création du royaume de Jérusalem après la première croisade (1095-1102 CE). La ville portuaire était bien fortifiée, construite sur une péninsule dont les côtés ouest et sud étaient protégés par la mer et les deux autres par des doubles murs massifs parsemés de 12 tours. Les formidables défenses de la ville n’ont pas empêché certains dirigeants de l’attaquer et de l’assiéger, notamment Saladin, le sultan d’Égypte et de Syrie (r. 1174-1193 de notre ère), en 1187 de notre ère, puis, pour la reprendre, les armées de la troisième croisade (1189-1192 de notre ère) menées par Richard Ier d’Angleterre (r. 1189-1199 de notre ère) de 1189 à 1191 de notre ère. Acre est alors restée un havre chrétien dans une mer de politiques régionales en constante évolution. La ville était également le siège de l’ordre militaire médiéval des Chevaliers Hospitaliers depuis 1191 de notre ère. Elle disposait d’une forte force des deux autres grands ordres militaires, les Chevaliers teutoniques et les Templiers, et en 1291 CE, ils seraient grandement nécessaires.

Plan d'Acre, 1291 CE
Plan d’Acre, 1291 CE
par Samsam22 (CC BY-SA)

Le sultan des Mamelouks était alors al-Ashraf Khalil (r. 1290 – 1293 CE), et il était déterminé à poursuivre l’œuvre de son père, le sultan Kalavun, et à chasser les chrétiens du Levant une fois pour toutes. Il marcha sur Acre avec une force importante et un équipement approprié pour abattre ses murs – peut-être avec une centaine de catapultes. L’une de ces catapultes massives a été prise au Krak des Chevaliers ; appelée « Victorious », elle était si grande qu’elle a dû être démontée, mais il a fallu un mois et 100 charrettes pour la traîner jusqu’à Acre, tuant en chemin d’innombrables bœufs par épuisement. Une autre catapulte géante fut nommée « Furious », mais l’artillerie la plus utile était sans doute les catapultes mameloukes, plus petites et beaucoup plus précises, connues sous le nom de « Black Oxen ». Avec une armée assemblée à travers le sultanat, le siège de la ville a commencé le 6 avril 1291 CE.

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Il y avait environ 1 000 chevaliers & peut-être 14 000 fantassins prêts à faire face à l’ennemi si, ou plus probablement quand, ils entraient dans Acre.

Le siège

La population d’Acre à ce moment-là était probablement de 30-40, 0000, bien que de nombreux civils aient déjà fui la ville pour tenter leur chance ailleurs. Sans une armée terrestre importante pour engager l’ennemi sur le terrain, les chrétiens qui restaient ne pouvaient que regarder Khalil organiser méthodiquement ses forces et ses catapultes pour couper l’accès terrestre à la ville. Les défenseurs avaient leurs propres catapultes, ils en avaient même une ou deux montées sur leurs navires, et celles-ci lançaient des rochers pour tenter d’endommager celles de Khalil qui martelaient les murs d’Acre avec une régularité alarmante – à la fois avec des pierres et des récipients de poterie contenant une substance explosive. Ce n’était qu’une question de temps avant qu’une brèche ne soit ouverte, mais la ville n’était pas sans défense. Il y avait environ 1 000 chevaliers et peut-être 14 000 fantassins prêts à affronter l’ennemi si, ou plus probablement quand, il entrait dans Acre. Au moins, les chrétiens étaient toujours en mesure de contrôler l’accès à la mer et pouvaient donc réapprovisionner la ville en cas de besoin. En effet, le roi Henri de Chypre-Jérusalem (r. 1285-1324 CE) est entré dans la ville par cette voie le 4 mai.

Trabouchet médiéval
Trabouchet médiéval
par Quistnix (CC BY-SA)

Les chevaliers des ordres militaires effectuaient bien régulièrement des sorties à petite échelle afin d’attaquer les flancs de l’ennemi et des raids commandos occasionnels mais sans grand succès. Une de ces attaques nocturnes est ici relatée par un jeune émir présent au siège, Abu’l-Fida :

Un groupe de Franj fit une sortie inattendue et avança jusqu’à notre camp. Mais dans l’obscurité, certains d’entre eux trébuchèrent sur les cordes de la tente ; un chevalier tomba dans les fossés des latrines et fut tué. Nos troupes se ressaisirent et attaquèrent les Franj de tous côtés, les forçant à se retirer vers la ville après avoir laissé un certain nombre de morts sur le terrain. Le lendemain matin, mon cousin al-Malik al-Muzaffar, seigneur de Hama, fit attacher les têtes de certains des Franj morts au cou des chevaux que nous avions capturés et les présenta au sultan. (Maalouf, 258)

Au début du mois de mai, les défenseurs étaient dans une situation tellement réduite – il y avait à peine assez d’hommes pour occuper toute la longueur des murs – que toute sortie fut arrêtée. Le roi Henri propose de négocier avec Khalil, mais le sultan ne recherche que la victoire totale. Dès la deuxième semaine de mai, les attaquants avaient miné des sections des murs, provoquant finalement l’effondrement partiel de plusieurs tours.

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Selon un récit contemporain du siège, le commandant militaire ou maréchal des chevaliers hospitaliers, le frère Mathew de Claremont, s’est montré particulièrement vaillant dans la défense de l’une des portes percées :

S’élançant au milieu des troupes comme un homme furieux… il franchit la porte Saint-Antoine au-delà de toute l’armée. Par ses coups, il jeta à terre un grand nombre d’infidèles mourants. Car ils s’enfuyaient devant lui comme des moutons qui, ne sachant où, fuient devant le loup. (cité dans Nicolle, 23)

Malgré ces petits épisodes de résistance efficace, le 16 mai, les défenseurs sont contraints de se retirer derrière le mur du circuit intérieur. Le 18 mai, un dernier assaut mamelouk concentré commença, composé de tirs d’artillerie, de volées de flèches et de la cacophonie de 300 tambours chevauchant des chameaux. Comme le note l’historien T. Asbridge :

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Mammouth par son ampleur, incessant par son intensité, ce bombardement ne ressemblait à rien de ce que l’on avait encore vu dans le domaine de la guerre des croisés. Des équipes de soldats mamelouks travaillèrent en quatre quarts soigneusement coordonnés, de jour comme de nuit. (653)

L’attaque dévastatrice eut pour conséquence de faire déferler l’armée mamelouke dans les rues d’Acre. Le chaos et un massacre s’ensuivirent avec les habitants qui pouvaient s’en sortir, fuyant vers les quelques navires restants qui offraient le seul moyen de s’échapper. Il n’y avait pas assez de navires pour accueillir tout le monde – bien que le roi Henry ait réussi à fuir la scène indemne – et des histoires peu recommandables circulaient selon lesquelles certains capitaines vendaient des places au plus offrant. Ceux qui n’étaient ni massacrés ni transportés en lieu sûr étaient faits prisonniers et vendus comme esclaves. Il y a cependant un coin de la ville qui s’est battu. Dans la partie sud-ouest de la ville se trouvaient les quartiers fortifiés des Templiers fanatiques qui, sachant que la défaite signifiait pour eux une mort certaine, réussirent à résister contre vents et marées pendant dix jours encore. Lorsqu’ils furent finalement capturés, les chevaliers furent exécutés, mais il y eut un minimum de vengeance lorsqu’une partie des murs instables de la ville s’effondra et tua un certain nombre de vainqueurs.

Sultanat de Mamluk, 1317 CE
Sultanat de Mamluk, 1317 CE
by Ro4444 (CC BY-SA)

Khalil a ordonné la destruction totale des fortifications de la ville, Il a enlevé des morceaux d’art et d’architecture pour les réutiliser au Caire, puis il s’est attaqué aux quelques poches de résistance latine qui subsistaient au Levant. Ainsi, en août 1291 de notre ère, les villes de Sidon, Tyr et Beyrouth, ainsi que les châteaux templiers de Tortosa et Athlit étaient tous tombés. Toujours aussi méticuleux, Khalil ordonne la destruction des vergers et des canaux d’irrigation le long de la côte afin que toute future armée croisée ne puisse en bénéficier. Les États croisés de l’Orient latin qui avaient été établis en 1099 CE n’étaient plus.

Les suites

Les Chevaliers Hospitaliers ont eu le mérite d’aider de nombreux réfugiés à s’échapper vers la sécurité de Chypre, où l’ordre a établi son nouveau siège (avant de s’installer à Rhodes en 1306 CE). Les Templiers ont également fait de l’île leur nouveau quartier général, et elle est devenue le seul point d’appui chrétien dans la région, avec la Cilicie au nord du Levant. Il y a eu deux croisades populaires en 1309 et 1320 de notre ère, puis quelques croisades officielles soutenues par les papes et les rois européens, mais il n’y aura pas d’attaque directe du Moyen-Orient. Au lieu de cela, l’idéal de la croisade serait appliqué à d’autres régions – où l’on pensait que les chrétiens étaient menacés ou les infidèles considérés comme mûrs pour la conversion – comme la Baltique, l’Ibérie et l’Europe centrale.

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