Au XXe siècle, la biologie moléculaire a établi que tous les organismes vivants partageaient les mêmes macromolécules porteuses d’informations (ADN, ARN et protéines), et le même code génétique pour transférer les informations entre ces molécules. Cette unité du monde vivant renvoie à une origine commune, un ancêtre qui possédait toutes ces caractéristiques. En clin d’œil à Lucy, cet ancêtre commun a été baptisé LUCA (acronyme de Last Universal Common Ancestor) lors d’un colloque international organisé en France par la Fondation des Treilles en 1996. En utilisant les données de la génomique comparative, une discipline alors émergente basée sur le séquençage d’organismes appartenant aux trois domaines du monde vivant (archées, bactéries et eucaryotes), cette communauté de chercheurs a entrepris de reconstituer les caractéristiques de LUCA. L’an dernier, un nouveau forum s’est tenu à la Fondation des Treilles pour célébrer le vingtième anniversaire de la dénomination de LUCA, faire le point sur les données collectées depuis 1996 et esquisser une première ébauche de cet ancêtre.
Pour autant, il convient d’abord de dissiper un malentendu fréquent : LUCA, qui a vécu il y a plus de trois milliards d’années, n’a pas été la première cellule à apparaître sur notre planète. La génomique comparative a démontré l’existence de trois molécules d’ARN et de 34 protéines ribosomales1 communes à tous les organismes vivants et donc aussi à LUCA. Compte tenu de leur complexité, ces molécules n’ont pu apparaître qu’après une longue période d’évolution. LUCA a donc dû partager la planète avec de nombreux autres organismes issus de cette même période. Cependant, ses contemporains n’ont pas laissé de descendants, ce qui ne veut pas dire qu’ils ne nous ont pas transmis certains gènes, tout comme les Denisovans et les Néandertaliens l’ont fait avec nos ancêtres Homo sapiens. Un parallèle peut également être fait entre LUCA et Eve africaine, la dernière mère commune à toutes les femmes modernes : Eve n’était pas non plus la première femme Homo sapiens, et elle ne vivait pas seule en Afrique à l’époque.
Deux branches, même arbre
La génomique comparative dans les ribosomes a également révélé que, en plus des 34 protéines universelles, les ribosomes modernes contiennent un grand nombre de protéines uniques aux bactéries, aux archées et/ou aux eucaryotes. L’une de leurs caractéristiques remarquables est qu’elles sont soit spécifiques à l’un des trois domaines, soit partagées par les archées et les eucaryotes. Au cours de l’évolution, ces protéines ont donc été acquises dans deux lignées distinctes : l’une menant de LUCA aux bactéries, et l’autre de LUCA aux archées et aux eucaryotes.
LUCA’s ribosomes were therefore less complex than modern ones, with around half the number of proteins. De manière générale, la comparaison des mécanismes moléculaires chez les archées et les bactéries a montré que, dans tous les cas, ces processus devaient être considérablement plus simples chez LUCA que dans les cellules modernes, et que la complexité croissante s’est produite indépendamment chez les bactéries d’une part, et chez les archées et les eucaryotes d’autre part.
LUCA n’avait probablement pas les complexes moléculaires ultra-sophistiqués que l’on trouve chez les organismes modernes, qui leur permettent par exemple de produire de l’énergie très efficacement. De même, son génome était probablement encore composé d’ARN, et il est possible que l’ADN et ses mécanismes de réplication soient apparus deux fois indépendamment, peut-être à partir de lignées virales très anciennes. La présence de virus à l’époque de LUCA est attestée aujourd’hui par l’existence de grandes familles de virus dont les membres infectent soit des bactéries, soit des archées, soit des eucaryotes.
Un ancêtre froid (ou tiède)
La découverte d’archées vivant à très haute température a d’abord suggéré que LUCA était lui-même un hyperthermophileFermerLes hyperthermophiles sont des archées dont la température optimale de croissance est égale ou supérieure à 80°C (définition du microbiologiste allemand Karl Stetter, qui a été le premier à décrire la plupart de ces micro-organismes)…. La reconstruction de certaines de ses séquences ancestrales par une équipe lyonnaise du CNRS dirigée par Manolo Gouy2 a montré que ce n’était probablement pas le cas. Or, les travaux de cette même équipe démontrent que les ancêtres des bactéries et des archées vivaient à haute température. Comment alors un LUCA froid (ou tiède) a-t-il pu évoluer vers les ancêtres chauds des bactéries et des archées ? J’ai avancé l’idée que les organismes des deux domaines auraient pu se développer jusqu’à leurs formes actuelles en s’adaptant à des températures de plus en plus élevées. Cette évolution pourrait donc avoir joué un rôle crucial dans la formation du monde vivant que nous connaissons aujourd’hui.
We have yet to understand the emergence of eukaryotes, organisms whose cells—unlike archaea and bacteria—have a nucleus and organelles such as mitochondria (responsible for respiration) and chloroplasts (responsible for photosynthesis). Une hypothèse populaire postule que les eucaryotes descendent d’un archée qui, par endosymbiose, a assimilé la bactérie dont sont issues les mitochondries. En 2015, une équipe suédoise a annoncé la découverte de Lokiarchaeota, qui pourrait être le chaînon manquant entre les archées et les eucaryotes. Les travaux de notre équipe ont néanmoins montré que cette conclusion était biaisée par plusieurs artefacts méthodologiques. Nous préférons la théorie selon laquelle les eucaryotes ne descendent pas directement des archées mais partagent un ancêtre commun avec elles. Certaines caractéristiques des eucaryotes peuvent ainsi avoir existé dans LUCA et avoir été perdues par la suite dans les archées et les bactéries.
Sans machine à remonter le temps, dresser le portrait de LUCA et déterminer la forme de l’arbre universel du vivant resteront longtemps des questions controversées. Cependant, le flux régulier de données fraîches issues de la génomique comparative réduit de plus en plus les scénarios possibles. Surveillez cet espace !
Les analyses, points de vue et opinions exprimés dans cette section sont ceux des auteurs et ne reflètent pas nécessairement la position ou les politiques du CNRS.
- 1. Les ribosomes sont des composants cellulaires très complexes, taht synthétise des protéines en utilisant des informations portées par l’ARN ou l’ADN.
- 2. Laboratoire de biométrie et biologie évolutive (CNRS / Univ. Claude-Bernard / VetAgro Sup / Hospices civils de Lyon / Inria).